La reconversion, une compétition à ne pas manquer pour les sportifs

Tous les sportifs n’ont pas les contrats sponsoring de Neymar, le salaire de Canelo Alvarez, dix titres de champion du monde de Teddy Riner pour les aider à préparer sereinement leur après-carrière. Si pour beaucoup, les sportifs sont des privilégiés, la retraite sportive présage un nouveau départ et doit s’anticiper durant leur carrière sportive. La FDJ Sport Factory s’est récemment lancée pour accompagner 27 sportifs potentiellement médaillables pour Beijing 2022 et Paris 2024. Au-delà d’une aide financière annuelle pour se préparer dans des conditions optimales, ce programme met à disposition des formations professionnalisantes pour préparer l’après- carrière. L’échéance olympique marque souvent le point final d’une carrière sportive, 2020 va donc être un tournant pour de nombreux sportifs.

Passer de la lumière à l’ombre peut en effet se révéler un moment difficile psychologiquement et financièrement dans la carrière de ces athlètes. Comment anticiper ce changement, parfois brutal et soudain, de carrière ? Quels outils sont à leur disposition pour faire les meilleurs choix ? Et si l’entrepreneuriat révélait en eux des compétences inexploitées à forte valeur ajoutée ?

 

Des disparités fortes : pour une majorité d’anciens sportifs, le sport ne devient plus qu’une passion.

 

La reconversion est une étape difficile donnant lieu à de nombreuses incertitudes pour le sportif. D’un point de vue psychologique d’abord, les projecteurs s’éteignent pouvant faire ressentir un sentiment de vide à la fin de la carrière sportive. Pour les plus grands sportifs, ils passent rapidement de la lumière à l’ombre, il faut donc gérer la gloire passée et retrouver de la confiance. Plus généralement, le suivi exacerbé des sportifs de haut niveau n’est pas idéal pour le développement d’une autonomie nécessaire dans l’après-carrière. Pour Maxine Eouzan, ancienne plongeuse et désormais présentatrice sur la chaîne Sport en France, « on a tout à portée de main en tant que sportif et il difficile de se retrouver avec moins d’accompagnement quand on décide de raccrocher ; il faut retrouver son autonomie ».

Au-delà de difficultés psychologiques rencontrées par certains sportifs, la précarité financière est également un sujet important pour la plupart des athlètes. 50% des athlètes allant aux Jeux de Rio vivaient avec moins de 500 € par mois. Le statut de Sportif de Haut Niveau, renforcé en 2015 suite au rapport Karaquillo, permet une sécurisation par le versement d’aides durant la carrière afin qu’ils puissent mener à bien leur carrière sportive. Une ressource manquante qu’il convient de remplacer dès lors que leur carrière s’arrête. Mais ces aides financières peuvent être complétées par des aides à la formation ou à l’aménagement d’emploi sur proposition du directeur technique national de la fédération. Ces aides doivent permettre de favoriser l’insertion professionnelle et de mener à bien un double projet.  

La question du double projet a fait l’objet d’un rapport, témoignant de la centralité de cette question pour le mouvement sportif. Poursuivre ses études ou avoir une activité professionnelle en parallèle demeure souvent très difficile. C’est pourquoi, le dispositif Pacte de Performance, soutenu par le Ministère des Sports, offre un cadre favorable aux sportifs pour qu’ils développent leur carrière professionnelle dans le même temps. Les entreprises financent des athlètes et aménagent leurs emplois du temps pour leur permettre de mener à bien tant leur carrière sportive que professionnelle et ainsi favoriser leur employabilité après-carrière.  

 

Mais la question de la reconversion se pose également pour les plus jeunes athlètes. Quelle place donner au sport dans sa vie ? Ce cheminement n’est pas linéaire. Titouan Renvoisé, champion du monde junior par équipes de cyclisme sur piste avait décidé à 18 ans de jeter l’éponge en quittant le Pôle France pour s’assurer une carrière et se concentrer sur ses études. Quelques mois plus tard, il intègre de nouveau le haut niveau en rejoignant l’équipe cycliste Côtes-d’Armor Marie Morin Véranda Rideau. Cet exemple démontre le tiraillement constant du sportif de haut niveau, entre carrière sportive et carrière professionnelle. Le rôle de l’entourage familial dans ces choix est primordial. L’environnement humain et les expériences personnelles sont moteurs dans les modalités décisionnelles des athlètes d’élite.

L’Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance (INSEP), terre de champions, a pris le problème à bras le corps et dédie un service à cette question. Depuis 2013, la mission reconversion a été menée par Valérie Fourneyron, Ministre des Sports entre 2012 et 2014 pour aider les sportifs français en reconversion. Interrogée à ce sujet, Gwendoline Plisson, responsable de la reconversion des Sportifs de Haut Niveau à l’INSEP répond : « environ 200 personnes sont passées par la cellule reconversion, principalement des personnes qui me contactaient hors INSEP, puisque la mission est nationale, mais aussi tous ceux de l’INSEP qui en faisaient la demande ».  L’accompagnement s’est aussi développé au cours de la carrière pour que les sportifs puissent mener à bien leur double projet, via un conseil personnalisé sur l’orientation et le questionnement liés à leur carrière sportive. « Depuis 6 mois, nous formons une équipe de cinq accompagnateurs en se répartissant le portefeuille de fédérations pour gérer les sportifs en carrière en pôle ». Le suivi et les formations ont d’abord pour but de faire prendre conscience de la nécessité de s’intéresser à l’après-carrière.  L’INSEP a d’ailleurs décidé de nouer des partenariats avec des organismes de formation à l’image de SportCom en partenariat avec le Centre de Formation des Journalistes (CFJ) ou en s’associant avec des écoles telles Sciences Po, l’EDHEC ou l’IUT De Créteil.

D’autres solutions sont aujourd’hui développées pour que les sportifs prennent les meilleures décisions concernant leur projet de vie. De nombreuses agences spécialisées dans la formation, la reconversion et l’orientation sont nées à l’image de d’Athlète Avenue ; Sport Compétences ou Perfé-o, témoins de l’importance de plus en plus grande donnée aux sportifs à leur après-carrière. Mais d’autres initiatives innovantes à l’image de My Dual Project voient le jour. « Nous nous sommes aperçus du besoin des athlètes pour acquérir des nouvelles compétences qui leur permettent de mieux mener leur carrière sportive actuel ainsi que celle du futur… c’est pour cela que nous avons créé My Dual Project, une plate-forme spécialisée dans la création de formations accessibles, adaptées, engageantes et dynamiques conçues pour un impact immédiat sur le quotidien des athlètes... notre philosophie est simple, nous aidons les sportifs à devenir entrepreneurs de leur propre carrière sportive » avance Fernanda Arreola, fondatrice.

Peu importe le niveau sportif, chaque athlète a aujourd’hui de nombreuses solutions d’accompagnement qui s’offrent à lui, comme on vient de le voir. Une étude, menée par trois chercheuses, Séverine Ventolini, Catherine Fabre et Anne-Laure Gatignon Turnau, classe les sportifs en quatre catégories dans leur stratégie de reconversion :

- Les « attentistes » 

- Les « opportunistes » comme Serge Blanco en s’associant avec Philippe Clus pour l’ouverture d’un centre de thalassothérapie ou Stéphane Guivarc’h qui vend désormais des piscines.

- Les « experts », comme Thomas Lombard, Guy Forget ou encore Fabien Galthié.

- Et les « entrepreneurs » comme Fred Michalak avec SportUnlimitech, Sarah Ourahmoune avec Boxer Inside ou Pierre Paquin et sa startup AIRFIT.

 

 

Cette dernière voie entrepreneuriale se développe de plus en plus et représente ainsi une opportunité pour un certain nombre de sportifs. Tout entrepreneur repart sur le même pied d’égalité quelle que soit la carrière sportive passée. La gestion du risque et du stress ou encore la prise de décision, très présents dans la pratique sportive de haut niveau, se retrouvent dans le processus de création et de développement d’une entreprise.

 

Favoriser l’entrepreneuriat pour les sportifs en reconversion

 

L’entrepreneuriat est devenu une opportunité de reconversion pour quelques anciens sportifs. Pourquoi cet attrait émergent pour la création d’entreprise ? Il est indéniable que l’entrepreneur et le sportif partage des compétences communes. Le leadership, une vision claire, la capacité d’adaptation, de résilience et la recherche de la performance sont autant de qualités qui permettent de mener sereinement un projet dans la bonne direction. Pierre Paquin, ex-skieur alpin français et fondateur d’Airfit l’assure : « le haut niveau m’a permis de développer ma capacité à ne jamais lâcher. Il y aura toujours des déconvenues, des défaites, des déceptions, etc. mais pour continuer à espérer il faut continuer à avancer ».  S’appliquer les mêmes règles est possible quand le sportif se reconvertit dans l’entrepreneuriat. Ces qualités d’entrepreneur peuvent également avoir été mises à profit au cours de la carrière : tout sportif n’est pas entouré d’une équipe pour gérer le quotidien, les relations extérieures.

Face au soutien des clubs qui peut être moins important au quotidien pour les sportifs individuels qu’il ne l’est dans les sports collectifs, « les sportifs de haut niveau, et particulièrement ceux de sports individuels, ont cela dans leur ADN. Ils doivent eux-mêmes gérer leur carrière : attirer le sponsoring, gérer la logistique, s’entourer de compétences… », affirme Laurent Laynat, dirigeant d’Ataxen. Il ajoute : « J’aide ces entrepreneurs à structurer leur réflexion, en axant mon discours sur leurs qualités propres de sportifs de haut niveau ». Les entrepreneurs, ex-athlètes de haut niveau détiennent cette vision avec un objectif précis. Ils doivent savoir s’entourer des bons acteurs et recherchent perpétuellement le succès, deux facultés qu’ils ont eu l’occasion d’expérimenter durant leur carrière sportive. Aussi, au-delà des compétences purement psychologiques, la carrière sportive a parfois permis d’engranger certaines sommes d’argent pour créer et lancer leur entreprise, bien que cela ne concerne qu’une minorité d’athlètes.

Et le sport peut parfois rapporter gros ; quelques sportifs « à la retraite » ont des capacités pour investir dans une société. Bien souvent le chemin d’entrée des sportifs découvrant cet environnement startup est celui de l’investissement. Un des meilleurs exemples de cette singularité est sûrement Tony Parker. Il a investi pendant et après sa carrière dans diverses structures : Vogo, la startup montpelliéraine spécialisée dans le live and replay in stadia, le rachat de l’ASVEL ou encore le rachat de la station de ski de Villard-de-Lans dans le massif du Vercors. Récemment c’est Roger Federer qui a franchi le pas également.

 

Certains diront « c’est facile quand on a autant d’argent », certes, mais pour autant il faut vouloir prendre ces risques. D’autres décident de s’engager au sein d’une startup. MyCoach, spécialisée dans la conception de solutions numériques dans le secteur du sport en est le meilleur témoin : Hugo Lloris est actionnaire, Christian Califano et Pauline Ado consultants, Bénédicte Rouby Executive Advisor ou encore Stephane Maurel et Christophe Rasori tous deux devenus co-gérants de la filiale My Coach Analytics.

Le monde de l’entrepreneuriat est de plus en plus convoité par ces sportifs. « C’est une voie marginale mais en devenir » souligne Laurent Laynat. Pour les accompagner vers l’entrepreneuriat, différents outils et accompagnement ont été mis en place. La MAIF a par exemple lancé le Sport Social Business Lab en 2017. Ce programme d’accélération pour sportifs en reconversion permet à ces « nouveaux » entrepreneurs d’être accompagnés dans le développement d’un projet écoresponsable lié au sport grâce à une batterie de services et la mise en relation avec des experts. Le programme a par exemple accompagné La Recyclerie Sportive, portée par Marc Bultez, ancien espoir de haut niveau en judo. Son but ? Valoriser les équipements sportifs de seconde main en leur donnant une nouvelle vie.

Le sujet entrepreneurial pour la reconversion est également de plus en plus intégré au niveau institutionnel pour démocratiser auprès de ces sportifs cette possibilité de double projet ou d’après-carrière. L’INSEP met en place depuis 2012 l’événement Start’Up ta Reconversion. « Au début il n’y avait pas de réel besoin ou envie, désormais chaque session est pleine » témoigne Gwendoline Plisson. Cet événement a pour but d’informer, de conseiller et d’accompagner les sportifs dans leur projet entrepreneurial grâce à des échanges, des ateliers avec des structures qualifiées. Mais d’autres initiatives sont portées également en partenariat avec la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris et la Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS – IDF) à l’image du dispositif Envol’Sport. Ce dispositif propose un accompagnement aux sportifs qui souhaitent créer leur entreprise et le sportif peut présenter son entreprise pour espérer recevoir une récompense financière comprise entre 6000 et 10 000 euros.

Les possibilités d’accompagnement à l’entrepreneuriat pour les sportifs de haut-niveau se multiplient ainsi. Pour autant, certains ne sont accessibles que lorsque l’on est toujours en carrière. Il faut en effet être inscrit sur les listes de sportifs de haut-niveau pour bénéficier du dispositif Envol’Sport, d’où l’importance d’anticiper sa reconversion…

 

 

Les stratégies de reconversion pour les sportifs de haut niveau sont ainsi multiples, et la voie entrepreneuriale tend à se développer. Pour ces sportifs, la porte privilégiée d’accès à l’entrepreneuriat passe par des investissements au cours de leur carrière. Mais ce choix entrepreneurial demeure pour le moment très lié à la carrière sportive. Il faut de l’argent pour investir. Si l’on n’est pas pris dans les folies du sport business, le constat reste le même : c’est plus facile d’investir et de lancer son entreprise après une carrière sportive fructueuse. Le principal frein à l’entrepreneuriat n’est-il donc pas la forte précarité dans laquelle se retrouve une majorité de sportifs ?