L'innovation suffira-t-elle à préserver la santé des joueurs de rugby ?

Le père de Nicolas Chauvin a décidé de porter plainte contre X pour homicide involontaire suite au décès de son fils, joueur espoir du Stade Français. Il souhaite par cette démarche rappeler la dangerosité de ce sport et éviter que cette tragédie ne se reproduise. Ces derniers mois, le rugby français a été marqué par plusieurs décès de jeunes joueurs. Autant de tragédies qui doivent servir à une plus grande sécurité. Le rugby est devenu plus rapide, plus puissant et par conséquence avec des chocs souvent plus violents. Rappelons-nous cette comparaison : Jonah Lomu, c’était un impact équivalent à une Twingo lancée à 30km/h. Le corps humain n’est tout bonnement pas fait pour encaisser de tels impacts. Des innovations ont été mises au point pour réduire les risques sanitaires en préparant mieux les joueurs, en analysant les chocs reçus et en augmentant la récupération aux blessures. L’innovation suffira-t-elle à préserver la santé des joueurs ? C’est aujourd’hui tout le défi auquel la Fédération Française de Rugby et World Rugby font face.

 

Une culture de la violence omniprésente malgré de plus en plus d’indicateurs rappelant la dangerosité du rugby.

 

Trop peu d’analyses approfondies sont, à ce jour, sorties sur les situations de jeu où les joueurs se blessent malgré une omniprésence déjà existante de données dans le rugby. Aujourd’hui, tous les joueurs professionnels portent des capteurs dans leur dos qui trackent l’ensemble de leur activité à l’image des capteurs développés par StatSports, Catapult Sports ou encore Mac-Lloyd. L’intérêt y est double pour le staff : non seulement ils ont un retour quantitatif sur chacun de leur joueur dans le but de prendre les meilleures décisions, mais en plus, ils peuvent déceler les joueurs en méforme et ainsi potentiellement prévenir les blessures. Et en ce sens, l’innovation apporte un réel impact positif et rassurant pour tout le monde. En revanche, il peut y avoir un revers de la médaille puisque ces capteurs peuvent aussi amener le joueur à une suractivité permanente, tant aux entrainements qu’aux matchs. C’est par exemple le cas de Sam Warburton (Pays de Galles) qui a décidé d’écourter sa carrière à 29 ans à la suite de blessures à répétition mais aussi face à la pression constante exigée par le haut niveau dans le but de se préserver. Les séquelles du rugby ne sont donc pas que physiques mais aussi mentales. Alors que c’était un top joueur mondial à son poste, cette retraite prématurée prouve que même à très haut niveau, les chocs sont trop violents, et que le mental ne suffit plus même aux meilleurs joueurs.

 

 

Une culture du choc véhiculée par des attitudes mais aussi des vidéos ou expressions à l’image des « Biggest hits in rugby » ; ces vidéos populaires sur Youtube qui mettent en scène les plus gros « tampons ». Ou encore des « Quel caramel », « découper » « mettre un arrêt-buffet ou encore désosser/prendre en planche » utilisés indéfiniment à la télévision et sur le bord des terrains au dépend de la dangerosité de l’action. Chaque amateur de rugby se souvient de la sortie de Serge Betsen, le regard ailleurs et titubant, en quarts de finale de Coupe du Monde contre les All Blacks en 2007. Il sera titularisé la semaine suivante en demi-finale, ne respectant pas la règle des trois semaines d’arrêt. Heureusement les protocoles se sont renforcés ces dernières années mais quelle application en est-il fait ? Récemment, Jamie Cudmore a porté plainte contre X après être rentré à nouveau alors qu’il n’aurait pas dû au regard de son état physique, ayant subi 3 commotions en deux semaines lors des demi-finale et finale de Coupe d'Europe en 2015 avec son club ASM Clermont Auvergne. Des traumatismes qui l'avaient contraint, ensuite, à s'éloigner des terrains durant trois mois. Un rapport d’expertise démontre que la responsabilité de son club est engagée sur une des trois commotions subies par l’athlète en 2015. La Ligue Nationale du rugby met d’ailleurs à disposition du médecin des clubs la technologie de la société Vogo pour améliorer la détection des commotions cérébrales. L’instauration du protocole commotion il y a quelques années avait déjà marqué l’envie de réformer le rugby mais aujourd’hui la Fédération Française de Rugby souhaite aller plus loin et tester de nouvelles règles pour changer profondément le jeu afin de diminuer les risques de contacts et fluidifier le jeu.

 

L’innovation réglementaire comme solution de prévention

 

Suite à un colloque à l’initiative de la Fédération Française de Rugby organisé en mars dernier, six nouvelles règles sont à l’essai cette saison, a annoncé World Rugby. La France est d’ailleurs en tête de liste pour ces expérimentations, étant donné que la Fédération Française de Rugby a déjà lancé un programme « Bien Joué » depuis la saison dernière, qui met en place dans certaines catégories la règle du « passage en force » ou favorise l’utilisation du carton bleu, permettant de faire sortir le joueur dans une suspicion de commotion. Ces règles, propulsées par World Rugby, vont avoir pour but de préserver la sécurité des joueurs en recréant des espaces de jeu. La fédération française souhaite aller plus loin et teste à partir de cette saison dans les compétitions amateurs l’obligation de plaquer sous la poitrine et l'interdiction du plaquage à deux. « Une sécurité qui ne peut être efficace que si elle est associée au sens du jeu » comme le souligne Didier Retière, le Directeur Technique National. Ainsi le plaquage sous la poitrine va-t-il dans le sens de la sécurité du joueur mais aussi dans celui du jeu. Selon lui, « plaquer au short va permettre au porteur de balle de faire des passes au contact et de pouvoir plus facilement traverser les lignes. Les défenses vont mettre des joueurs en 2e-3e rideau et on risque d'avoir des joueurs un peu moins présents sur la première ligne de défense ». Cette évolution du rugby doit être accompagnée d’une évolution de la structure de notre championnat du Top 14. Dans d’autres ligues, aucune équipe ne descend ou ne monte, ce qui les pousse à développer du jeu en prenant des risques. « En France, on préfère ainsi d’abord assurer sa défense avant de prendre des risques en attaques, ce qui contribue à fermer le jeu, réduire les espaces et favoriser les contacts » nous explique Pierre Rabadan, ancien international français. Il ajoute : « C’est cette valorisation de l’attaque qui doit être remise au centre des préoccupations des clubs et notamment dans la formation, d’autant plus que le rugby basé sur la domination physique n’est plus le rugby qui gagne ». Cet apprentissage peut d’ailleurs s’appuyer sur des innovations technologiques, comme le Free Viewpoint de Canon, mis en place durant la Coupe du Monde, pour une nouvelle expérience d’apprentissage avec de nouveaux angles et points de vue. Les règles mises à l’essai par World Rugby vont dans ce sens, vers une valorisation des attaques et une minimisation des défenses pour éviter tout plaquage violent et dangereux.

 

 

Néanmoins, une dichotomie dans le discours de World Rugby ne permet pas d’être pleinement rassuré quant à l’évolution des mesures et règles pour une plus grande sécurité des joueurs. Brett Gosper, CEO de World Rugby, a en effet affirmé : « Il y a beaucoup de bruit autour de l’augmentation des blessures, mais ce n’est pas du tout fondé en fait. On ne peut pas trouver de statistiques qui appuient cette logique d’augmentation. La préparation physique et la technique des joueurs les protègent ». Certes une préparation individualisée peut être la clé pour prévenir certaines blessures, et il est vrai que le nombre de blessures stagne globalement comme en témoigne une étude menée sur le championnat anglais entre 2002 et 2014, oscillant autour de deux blessures par match et par club. Cependant, les durées d’indisponibilité des joueurs augmentent considérablement, il serait d’ailleurs intéressant d’obtenir le même audit pour le championnat français. Outre-Manche, le nombre de jours d’indisponibilité suite à une blessure en match est passé de 16 à 26 en moyenne, entre 2002 et 2014 ; les blessures sont donc bien plus graves qu’elles ne l’étaient auparavant, d’autant plus que la technologie aide aujourd’hui à un plus prompt rétablissement des athlètes, comme les machines isocinétiques plus performantes ou les traitements par injection de plasma riche en plaquettes (PRP) devenant la norme. Les blessures augmentent ainsi en gravité, ayant des répercussions sur l’avenir des joueurs, tout comme la répétition de commotions cérébrales pouvant être la cause d’encéphalopathie traumatique chronique (ETC) a posteriori. Il conviendrait peut-être de cesser ce discours prônant une « meilleure préparation » comme solution aux blessures. La vérité sur la violence des chocs est bien là avec des drames à la clé et chaque joueur vit avec une épée de Damoclès au-dessus de sa tête dès qu’il entre sur un terrain. Cette violence est finalement un des facteurs majeurs de la stagnation du nombre de licenciés en France.

 

 

« Mettre un cul » ne devrait plus être dans le jargon rugbystique. Cette expression témoigne à elle seule d’une volonté de brutalité inutile dans un jeu initialement basé sur les passes et l’évitement. Il est nécessaire de revenir aux bases de ce sport car le rugby finalement ne déroge pas à la règle du haut niveau et de l’évolution dans le sport. Dans tous les sports, la quête de performance a amené à battre des records. Néanmoins, lorsque l’on court ou que l’on saute haut pour dunker, on ne peut blesser les autres contrairement au rugby. Il faut ainsi se demander si le rugby est adapté à cette évolution et à cette quête de performance physique pour prendre les mesures nécessaires de sécurité. En tout cas aujourd’hui, il semble primordial de modifier des règles au dépend du simple recourt technologique pour préserver la santé des athlètes.

 

Constant CAPRON, Vincent CHOTEL