L'innovation peut-elle limiter l'impact environnemental du sport ?

Dans le projet de loi Sport et Société qui devrait paraitre au premier semestre 2020, l’environnement aura-t-il sa place ? Parmi les mesures qui se présagent, tout laisse penser le contraire. Chartes, engagements, nombreuses sont les initiatives en faveur du respect de l’environnement et tant mieux ! Pourtant, sans caractère contraignant, la portée de ces initiatives est difficilement quantifiable. Aujourd’hui donc, le sport participe à la transition écologique mais peu d’effets sont observables. D’ailleurs, dans le monde de l’innovation, peu de startups nous ont encore réellement convaincus dans ce domaine. L’innovation est-elle la clé pour une pratique sportive responsable ?  

I. L’activité sportive : un impact fort sur l’environnement

Lorsque l’on parle de sport, on pense d’abord à l’impact positif sur notre santé. Mais qu’en est-il côté environnement ? Que ce soit pour les événements ou pour la pratique quotidienne, le sport entraîne automatiquement de nombreuses mobilités, responsables majoritairement de cet impact négatif. A titre d’exemple, il est estimé que 90% de l’empreinte carbone de Roland Garros provient de la mobilité de spectateurs venant au tournoi. Il convient de noter que de nombreuses actions sont réalisées par la Fédération Française de Tennis pour réduire son empreinte carbone, telle la collaboration avec la RATP ou la présence de navettes électriques. L’innovation a montré qu’elle pouvait être bénéfique pour réduire cette pollution liée aux mobilités. Développé par la Fédération Française de BasketBall et le Centre National pour le Développement du Sport (CNDS), l’outil Optimouv’ permet de réduire d’au moins 15% les déplacements des rencontres sportives. Comment ? L’outil prend en compte géolocalisation d’équipes et clubs, organisation des poules et calcul d’itinéraires. Ainsi il donne pour chaque scénario généré par une fédération le détail du nombre de kilomètres et les émissions de CO2 comparé aux chiffres du scénario non optimal. Cette innovation est le symbole que les mobilités peuvent être optimisées afin d’en réduire l’impact. Aujourd’hui, ce sont près de 28 fédérations ou comités olympiques (CROS et CDOS) qui utilisent cet outil dont prochainement la Fédération Française de Football (1 million de rencontres par an).

Au niveau des collectivités publiques, de nombreuses initiatives positives ont déjà été initiées depuis quelques années pour encourager les mobilités douces. Une de plus vient d’être annoncée puisqu’à partir de 2020, les franciliens bénéficieront d’une prime VAE de 500 euros pour se munir d’un vélo électrique et la mise en place de Véliga Location, service de mise à disposition de vélos à assistance électrique.

Outre les mobilités, les équipements sont parfois très néfastes pour l’environnement, allant de la production textile, aux objets connectés, aux installations sportives. A l’instar des piscines qui restent des gouffres énergétiques, la pratique sportive génèrent des équipements énergivores. Mais quelques changements tendent à l’optimisme à l’image de la communauté de communes de Forez Est qui alimente en énergie sa piscine grâce à la réfection d’un parking environnant. Cyclo Power Factory est aussi un projet ambitieux pour utiliser l’énergie sportive des sportifs à la production d’électricité dans des salles de sport. Aux Pays-Bas, Energy Floors va encore plus loin et transforme les déplacements en énergie grâce à des dalles cinétiques convertissant l’énergie de notre gravité en électricité. Enfin sur le même ordre d’idée, le projet Human Power Plant développé par l’université d’Utrecht vise à démontrer qu’il est possible d’alimenter, avec de l’énergie humaine, une résidence étudiantes de 22 étages et 750 étudiants grâce à la force humaine produite par l’entrainement sportif. Côté grand groupe, des évolutions s’opèrent également ; Decathlon a mis en place une note environnementale à chacun de ses produits afin d’informer ses clients sur l’impact environnemental de leurs achats.

De nombreuses initiatives fleurissent donc et l’innovation intègre peu à peu la dimension environnementale. Footbar, qui commercialise des capteurs pour évaluer la performance des joueurs, à terme ne souhaite pas vendre un capteur pour chaque utilisateur, mais envisage de développer un système de mise à disposition de ses accessoires en libre-service. La fin de la propriété des objets connectés est ainsi apercevable, et c’est tout un modèle économique de surproduction et surconsommation qui pourrait être mis à mal, pour de bonnes raisons. Les transports l’ont déjà mené avec l’essor du free floating.

 

II. La compréhension des comportements dans cette stratégie du changement

Désormais se pose la question d’une action profonde et durable impulsé par les pouvoirs publics. Un premier travail a été mené notamment par Le Ministère des Sports et l’ONG WWF France en 2017 qui a donné naissance à une charte des 15 engagements écoresponsables. Une charte signée par 55 organisateurs événements au profit de 130 événements majoritairement nationaux et internationaux. Très vite en 2018, cette charte a été déclinée auprès des grands gestionnaires d’équipements sportifs (stades, arénas, golfs, salles escalade…). Une escalade de bonnes pratiques qui viennent surtout renforcer l’intérêt des plus motivés mais qui n’engagent pas une transformation profonde et durable des habitudes.

Pour comprendre comment impacter les comportements des producteurs et consommateurs de sport, il est peut-être intéressant de prendre du recul et de s’intéresser au comportement humain et jeter un œil du côté de la science comportementale. Plusieurs explications peuvent ralentir le changement; les préoccupations pour l’environnement suscitent peurs et angoisses (conséquences émotionnelles) ; elles véhiculent des représentations sociales ; enfin, les changements de comportement attendus appellent une meilleure compréhension des conduites des consommateurs. Par exemple, comment s’opère la transaction entre nos envies (souvent à court terme) et les objectifs que l’on planifie sur le long terme ? Tel est le fameux « dilemme temporel » posé en psychologie comportementale. On sait qu’en général notre cerveau a tendance à choisir les comportements qui offrent des récompenses à court terme et des désagréments à long terme plutôt que l’inverse. Ainsi trier ses déchets ou économiser des déplacements en voiture comportent des désagréments à court terme, alors que le bénéfice est très éloigné. Voici donc un domaine d’étude qui invite à trouver des stratégies de récompenses à court terme qui accompagnent les comportements écologiquement responsables. Aujourd’hui les injonctions comportementales au nom de l’environnement ne manquent pas et surtout ne suffisent pas. Est-ce que vous mangez 5 fruits et légumes par jour comme on vous dit de faire ? Est-ce que vous faites 30 min d’activités physiques quotidiennes recommandées ?

Si l’on prend l’exemple du sport santé, malgré des objectifs de santé publique bien connus désormais des français, les chiffres attestent que ¾ des français ont un niveau d’activité physique qui reste loin des 10 000 pas quotidiens recommandés notamment par l’Organisation Mondiale de la Santé, d’après les résultats de cinq années d’études menées par l’association Attitude Prévention. Mais grâce à de nouveaux leviers incitatifs, développés par des startups, le changement tend à s’opérer. Aujourd’hui, la pratique sportive tend à s’ancrer dans notre quotidien car au-delà des messages publicitaires, de nombreux outils ont été développés pour inciter les français à se mettre au sport et lever un certain nombre de barrières physiques et psychologiques. Accessibilité facilitée, récompenses liées à la pratique sportive, création de lien social, cohésion et renforcement des liens entre les collaborateurs en entreprise… tous les moyens sont bons pour mettre les français au sport sans les obliger. Peut-être devons-nous s’en inspirer pour changer le regard lié au développement durable ?

La légitimité d’une intervention des pouvoirs publics sur les comportements individuels est attestée en matière de développement durable, reste donc à savoir comment faire. Il n’y a pas une recette miracle pour y arriver. Hier la « communication engageante », aujourd’hui les nudges et autres leviers incitatifs développés par les startups. La seule règle générale consiste peut-être à articuler les échelles d’action, les outils et les acteurs qui les mettent en œuvre afin de ne pas s’en tenir qu’à l’arbitrage individuel, mais d’agir également sur le contexte matériel, normatif et social qui oriente, cadre voire détermine les actions individuelles. Nous pourrions écrire un livre sur le sujet mais il conviendrait également d’observer et comparer d’autres secteurs qui ont opéré une mutation profonde en faveur d’une production et consommation écoresponsable.

L’alimentationla grande distribution ou encore l’immobilier ont opéré des avancées significatives sur le sujet par des mesures réglementaires et incitatives auprès des producteurs et consommateurs. Au niveau du sport, il est nécessaire que non seulement les pouvoirs publics, mais également les équipementiers, les publicitaires, les organisations sportives internationales réfléchissent à adapter le message qu’ils véhiculent. Le rêve nous fait perdre la tête et les tours opérateurs l’ont bien compris et nous font parfois oublier le caractère profond de nos actes. Faire un trek jusqu’au camp de base de l’Everest, aller surfer sur les côtes mythiques d’Hawaï, courir la diagonale des fous sur l’ïle de la Réunion, randonner aux cœurs des Lofoten en Norvège ou encore faire du stand up paddle au cœur des 24 000 km de lagons en Nouvelle Calédonie avec ces falaises à pic qui se jettent dans une mer bleu azur. Oui c’est tentant, mais est-ce que vous avez déjà oublié ce qu’on s’est dit plus tôt ?

 

Que ce soit par les startups, les ONG, l’Etat, les acteurs privés et institutionnels sportifs, chacun  doit prendre ses responsabilités, continuer d’encourager le développement de la pratique sportive, mais une pratique responsable et durable, à l’image du calculateur carbone événement de la fondation GoodPlanet ou de l’outil ADERE. Et si on obligeait chaque acteur du sport à calculer et afficher publiquement son empreinte environnementale, cela permettrait-il d’engager une course au plus écoresponsable ?

 

Constant CAPRONVincent CHOTEL