Quand le sport investit de nouveaux territoires

En l’espace d’un siècle, la place du sport dans notre quotidien a bien évolué. Aurions-nous pu imaginer un jour nous retrouver en train de faire du rameur, sur notre balcon avec un casque de réalité virtuelle qui nous propulse sur le fleuve Amazone ? Faire un tennis à 200m d’altitude sur une tour à Dubai ?  Ou piloter une Formule 1 sur le circuit de Monaco sans bouger de chez soi ? Comment sommes-nous passés d’un modèle organisationnel basée sur une pratique encadrée et codifiée à une pratique désormais libre et auto-organisée qui laisse place à la créativité ? Du stade au centre commercial, en passant par la rue, l’entreprise ou la maison, le sport a investi de nouveaux espaces de pratique pour le bonheur de nombreux acteurs qui ont su profiter de profondes mutations socio-culturelles et technologiques.

Une mutation des lieux de pratique

Au fil du XXe siècle, le sport est devenu ce qu’il est convenu d’appeler « un phénomène de masse ».

Malgré un lent démarrage sous la IVe République, le sport, considéré comme une activité de loisir fondée sur la motricité et l’expression corporelle se pratiquant dans des espaces diversifiés, est devenu une des pratiques sociales les plus répandues. Si l’on s’en tient aux chiffres révélés par l’INSEP, plus de 80 % des Français déclarent aujourd’hui pratiquer une activité physique plus ou moins régulière  contre 20 % au milieu des années 1950, signe de cette «sportivisation» de la société française. Mais comment sommes-nous arrivés à faire courir les individus dans la rue, à les amener à faire du sport chez eux, au travail ou encore dans un bar ?

Au début du XXème siècle, la pratique sportive avait lieu dans divers bâtiments, aménagements ou espaces dévolus aux exercices physiques : bains flottants, gymnases divers, salles d’escrime, manèges d’équitation… Les premières architectures sportives sont les champs de courses et hippodromes, les gymnases, les vélodromes, les piscines couvertes et, quelques années plus tard, les terrains de sports athlétiques.

Au cours du siècle, avec l’augmentation du temps libre, l’évolution réglementaire des pratiques sportives, l’amélioration du niveau de vie, les différentes vertus physiologiques et psychologiques attribuées à l’activité physique ou encore les avancées technologiques … de nouvelles pratiques ont émergé et se sont progressivement imposées en dehors des cadres réservés à la pratique sportive traditionnelle. Elles surgissent le plus souvent au sein d’une communauté qui s’auto-fédère autour de trois grands principes : la beauté du geste, l’expérience et la mise en spectacle. Très vite, les collectivités ou acteurs privés qui y sont sensibles, développèrent les conditions de développement de ses pratiques « sauvages ».

Le roller est l’emblème des sports alternatifs dans les années 90. Il est le premier à utiliser des surfaces, du mobilier ou de l’architecture urbaine comme les trottoirs, les rampes, les bancs… et rapidement de nombreux skate-park sont apparus. Elément marquant, le nombre de pratiquants de roller, évalué à environ 7 millions, alors que la Fédération Française de Roller Sports (FFRS) ne compterait que 55 000 licenciés.

De nombreuses pratiques désorganisées ont ensuite vu le jour et bénéficient désormais de leurs espaces de pratique. Le football à 5, le basket de rue ou encore le BMX de rue sont des exemples évocateurs. Pour faire face au développement de ces pratiques, les villes ont aménagé des espaces en accès libre, dans la continuité des Bases de Plein Air et de Loisirs (BPAL) créées par le ministère de la Jeunesse et des Sports au milieu des années 70.

De nouvelles modalités de pratiques

L’activité sportive est désormais l’affaire de tous. Vertu sociale, éducative, économique ou sanitaire, les clubs et fédérations n’ont plus le monopole de la pratique sportive. Fini les créneaux d’entraînements imposés, les trajets à n’en plus finir pour se rendre au stade, les individus délaissent l’encadrement, les règles imposées pour une pratique libre et auto-organisée. En témoignent les activités les plus populaires qui sont pour la plupart des sports de pleine nature s’inscrivant dans un cadre naturel sans contraintes ; les marches, le vélo ou encore la course à pied. En 2013, selon l’Institut régional de développement du sport (IRDS), un Parisien sur deux pratiquait un sport en dehors de toute structure institutionnelle (contre 16 % en club).

Conjointement aux espaces de pratiques qui évoluent, les leviers de motivations ont changé puisque la recherche du bien-être, d’un équilibre personnel ou l’affirmation de la sociabilité restent des priorités pour nombre de pratiquants. Des indicateurs qui traduisent la perte du monopole des fédérations sportives au dépend de nouvelles modalités de pratique dont les acteurs publics mais aussi privés commencent à prendre la mesure. La startup Sport Heroes a décidé de s’occuper de ces pratiquants en les encourageant à faire toujours plus de sport. Ne plus courir dans le vide, sans intérêt avec la hantise de perdre la motivation pour une autre séance quelques jours après. Elle souhaite encourager et valoriser les efforts de chaque sportif en leur faisant bénéficier d’offres exclusives en fonction de leur performance sportive. Plus vous courrez, plus vous serez récompensez, une formule qui marche et qui s’étend à d’autres types de courses, notamment caritatives à l’image de la première course connectée réalisée avec l’UNICEF dans le cadre des Jeux Olympiques de Rio.

Outre la gamification, des startups proposent de faciliter la recherche et l’accès à des pratiques sportives libres. C’est le cas de Babasport qui propose de trouver près de chez soi des activités sportives  pour occuper son temps libre. Windoo quant à elle, propose de participer à des cours collectifs dans des endroits insolites (Bootcamp dans le parc des Buttes Chaumont,  séance de Yoga dans une boite de nuit…)  Et même pour les sportifs avertis qui souhaiteraient pratiquer une activité en vue d’une performance sportive, il n’est plus indispensable de rejoindre un club. Invitio  a développé un service, qui à travers une application mobile, gère tous les aspects de la vie sportive de l’athlète. Fini les feuilles volantes avec les séances gribouillées, tout est regroupé dans une seule application.  Vous souhaitez faire une préparation physique en vue d’une compétition sans vous engager quelque part ? Fyziki propose une solution de coaching en ligne. Mais pour ceux qui préfèrent toutefois garder un contact humain sans pour autant prendre une licence sportive, des startups facilitent la mise en relation avec des coachs sportifs, c’est le cas de Trainme ou Fizix.

Les villes au coeur de ce changement

Les acteurs publics sont aussi conscients de ce changement puisque certaines municipalités ont développé par exemple de nouveaux services au sein de leur piscine afin de fidéliser et d’attirer une nouvelle clientèle. Elles offrent, par l’intermédiaire de la startup lSee, la possibilité de déterminer l’alimentation et l’activité physique adaptées aux spécificités génétiques et métaboliques de chaque individu. Aquagym, aquabike, aquaclimbing ou natation,  la startup permet de rassurer le client et rentabiliser son investissement.

Les villes s’attaquent à leur environnement urbain et essaient de développer les conditions d’une pratique sportive respectueuse de l’environnement et des attentes des citoyens. Au-delà de l’aménagement de parcours de santé, de pistes cyclables pour les pratiques dites traditionnelles de pleines natures ; le parkour, street-golf, street ball, quick soccer sont des exemples de disciplines apparues récemment qui permettent de comprendre le basculement effectué dans le rapport au sport de la ville. Les collectivités ne sont désormais plus à les seuls acteurs à l’origine de la pratique sportive de ses citoyens mais ce sont plutôt ces derniers qui font émerger de nouvelles pratiques dont les collectivités se proposent de répondre, à l’image des sports de glisse urbaine (roller, skateboard).

En janvier 2016, la ville de Paris a lancé un appel à projets appelé « Paris, terrain de jeux », afin d’amener les acteurs traditionnels du sport à repenser les espaces urbains inoccupés en proposant des installations sportives innovantes. Parmi les projets retenus ; parcours d’aventure, karting électrique, padel ou encore escalade viennent faire revivre des espaces que l’on pensait perdus. Chaque espace devient un lieu potentiel où l’on peut pratiquer une activité physique et sportive.

A Singapour, un stade flottant a été construit sur les eaux du réservoir de Marina. A Toronto, c’est Google qui a construit mini-golf, terrain de basket et salle de sport sur le toit de leur immeuble. Un spot de BMX de 100 mètres de haut est à retrouver sur des immeubles d’appartements luxueux à Kiev. Encore plus fou avec le terrain de tennis le plus haut du monde qui culmine à 210 mètres d’altitude au cœur de l’hôtel Bur Al Arab à Dubai. A Paris, c’est dans la Seine que l’on pourra bientôt faire ses longueurs, c’est en tout cas la volonté de la maire de Paris en vue de la candidature de Paris2024.

Mais la pratique sportive investit également de nouveaux lieux insolites au sein des villes. Bars, boites de nuit ou centres commerciaux proposent désormais à leurs clients des activités sportives, ludiques afin d’attirer un nouveau public. Au centre commercial de Persian Gulf Complex, en Iran, on trouvera près de 2500 boutiques mais également deux parcs d’attraction ou encore des terrains de tennis. On peut désormais également jouer au tennis de table ou à la pétanque dans certains bars ou faire du sport en boite de nuit lors de soirées dédiées zumba ou crossfit. Un phénomène de « sportivisation » de la société facilité par l’apport de la technologie.

La technologie, moteur de cette mutation

Si les mentalités ont bien évolué depuis quelques décennies, il n’en est pas moins que la technologie a joué un rôle déterminant dans l’émancipation sportive des individus. La téléphonie, l’informatique, internet et aujourd’hui le digital ont facilité le changement de mode vie et de pratique sportive des individus. L’évolution technologique a facilité l’accès à la pratique sportive et permis de rêver.

Désormais, la mesure de la performance sportive, l’analyse de données, l’élaboration d’un projet d’entrainement ou encore la pratique de nouvelles activités sportives sont à la portée de tous grâce à ces nouveaux outils. Applications mobiles, logiciels informatiques, objets connectés, ils facilitent tous la transition vers une pratique libre. La start-up PIQ a conçu un objet connecté multi-sports bardé de capteurs qui permet à tout sportif, à la fois de pratiquer plusieurs activités sportives mais d’accéder à un niveau d’analyse avancée pour chacune d’entre elles, avec un seul outil. Faire du sport ou l’on veut devient possible grâce à Fitness connect. La jeune entreprise a développé une station de fitness modulable et connectée à une application de coaching sportif. Une application qui permet aux utilisateurs de découvrir les exercices qu’ils doivent effectuer en fonction de leurs objectifs. Entreprise, collectivités, les intéressés ne manquent pas.

La ville de Mandeure dans le Doubs vient d’installer la première aire de sport connectée. Un espace avec plusieurs machines de sport où les utilisateurs peuvent scanner un flashcodes à côté des machines et accéder à des conseils et démonstrations.

Réalité virtuelle, augmentée et e-sport offrent de nouvelles perspectives

S’entrainer à une compétition, dans des conditions proches de la réalité, c’est désormais possible à partir de son lieu de travail ou domicile grâce à la simulation numérique.  Une technologie qui permet de simuler et de prédire avec précision le comportement d’un système. Elle utilise un modèle numérique qui peut inclure l’athlète, les équipements et l’environnement. Cyclisme, golf, natation, de nombreux sports l’ont déjà adopté, parfois occasionnellement et parfois plus systématiquement au bonheur des pratiques outdoor dépendantes des conditions météorologiques.

Les sportifs amateurs peuvent également profiter de cet apport technologique dans leur quotidien. Holodia, une startup française spécialisée dans le fitness en réalité virtuelle a développé un rameur associé à un ordinateur et à un casque de réalité virtuelle. Mettez votre casque et ramez dans des univers virtuels dépaysants et ludiques.   Une technologie de réalité virtuelle qui laisse présager une évolution importante de la pratique sportive dans les années à venir. Nous n’aurons peut-être plus besoin de sortir de chez nous pour faire un tennis avec un partenaire, ou nous pourrons  bientôt pratiquer du golf en plein Paris. Récemment, un simulateur de golf à fait sensation au concours Lépine 2016. Composée d’un PC, d’un Oculus Rift et d’un capteur de mouvements Microsoft Kinect, la machine en question serait destinée aux personnes handicapées et pourrait être installée dans des lieux publics tels que des parcs de loisirs, airs d’autoroute et navires de croisières.

Une autre tendance émergente peut bouleverser notre pratique sportive ; l’esport. Nous pourrons surement bientôt être acteur de nos jeux vidéo préférés et évoluer aux côtés de Lionel Messi dans le jeu FIFA, se projeter dans une simulation de la seconde guerre mondiale dans Call Of Duty.  La startup Exsens travaille en ce sens puisqu’elle développe une technologie qui permet à chacun de redessiner son corps virtuel grâce à une application et suivre son évolution. Ainsi, il deviendrait possible de créer son avatar et de le faire évoluer dans un monde virtuel.

Ce rapprochement entre le sport et l’univers du jeu vidéo promet une belle révolution et l’apparition soudaine du jeu Pokémon Go laisse entrevoir un potentiel énorme en matière de levier de la pratique sportive. Si on les pensait antinomique, il s’avère que les jeux vidéo et la pratique sportive peuvent trouver des synergies. La démonstration est faite avec le phénomène récent du jeu Pokémon Go. Ce jeu fait sortir les « geeks » de chez eux, au grand bonheur de leurs proches. S’il est encore à son balbutiement, il laisse néanmoins libre cours à de nombreuses possibilités une fois qu’il s’organisera et sera pris en compte par les acteurs publics et privés. A l’image du running ou du vélo où les collectivités ont adapté des lieux de pratiques dédiés à ces activités (parcours de santé, voies vertes, aménagements d’espaces verts…), nous pouvons imaginer que soient demain mis en place des « arènes virtuelles » où les joueurs pourraient se regrouper pour s’affronter. Des bornes intelligentes pourraient être installées  et permettraient via la « pokéball » des joueurs, d’accéder à des informations sur les milliers de pokemon, les lieux pour les récupérer ou les prochains tournois organisés à proximité. Se munir le plus rapidement possible du maximum de pokemon amènera certainement les joueurs à se déplacer, à utiliser des moyens de déplacement qui leurs permettent d’accélérer leur quête et les amener indirectement à découvrir la pratique sportive.

Les lieux de pratiques se diversifient et nous sommes en train de vivre une évolution importante avec le développement de nouvelles technologies liées à l’essor du digital. Comment les institutions sportives traditionnelles vont-elles s’adapter ?