"Veille de match, c'est pâtes" : quand la nutrition redevient centrale dans la préparation des sportifs

Fin 2019, la sortie très médiatique du film documentaire « The Game Changers » sur Netflix retraçant les témoignages de sportifs de haut niveau vegan, a suscité de vives réactions. Il explique que le changement de nutrition vers un régime vegan aurait été l’élément déterminant pour des athlètes dans l’amélioration de leur performance sportive. Que l’on soit d’accord ou pas, ce reportage témoigne de la place grandissante de la nutrition au sein de la pratique sportive des amateurs comme des professionnels. Le marché mondial de la nutrition sportive devrait représenter 45 milliards de dollars en 2022 avec une croissance moyenne de 8,1% par an selon Zion Market Research. Par sa place importante aujourd’hui, il est pertinent de se demander comment la nutrition influence tant la pratique du sportif du dimanche que la performance de l’athlète de haut niveau. Quelles innovations permettent aujourd’hui une individualisation de l’alimentation, de l’information qualifiée sur les aliments et de la planification des régimes afin d’atteindre les objectifs fixés ?

Comprendre et écouter son corps pour le nourrir de manière optimale.

Pour se sentir en forme, manger sainement et avoir un régime adapté à son activité physique est désormais rentré dans le bien commun. Le changement des habitudes alimentaires et modes de consommation n’a pas échappé au secteur de la nutrition sportive.

Chacun y va de ses petits conseils pour une nutrition adaptée pour les athlètes qu’ils soient professionnels ou amateurs. Tout d’abord, le produit, l’aliment en lui-même, est au centre des innovations nutritionnelles. Nombreuses sont les marques qui ont développé des produits nutritifs à destination du sport : compléments alimentaires, barres énergétiques ou boissons de récupération ont fleuri, portés par des marques comme MyProtein, Isostar ou Gatorade. Pour le simple marché des compléments alimentaires, il représente 1,9 milliard d’euros en France en 2018 selon le Syndicat National des Compléments Alimentaires. Pour autant, la nocivité de certains produits populaires comme la créatine, protéines de lait ou DHEA, a été pointée du doigt à de nombreuses reprises par l’Agence de sécurité sanitaire (Anses). Selon l’Agence, la créatine n’aurait d’ailleurs pas d’effets scientifiquement prouvés sur la performance de l’athlète et serait surtout potentiellement cancérogène. Nous pouvons donc constater que l’impact de la nutrition sportive sur la santé est à double tranchant ; s’ils peuvent permettre d’être plus performant, ils peuvent néanmoins s’avérer très dangereux. Le rôle de l’information par un tiers de confiance est donc capital pour les sportifs.
 


Le recours à un diététicien du sport est de plus en plus fréquent. Être accompagné dans sa nutrition permet en effet d’enlever un poids psychologique fort avance même Kylian Bonnet, champion de France de taekwondo : « en étant suivi, j’ai lâché une véritable responsabilité ». La confiance donnée à un professionnel tiers permet ainsi de répondre aux questions qu’un sportif peut se poser. Est-ce que je me nourris correctement ? Ma nutrition est-elle optimale pour ma santé et mes performances ? Est-elle adaptée à mes besoins ? Tout le monde ne peut cependant pas se payer les conseils d’un diététicien comme peuvent le faire de nombreux sportifs professionnels. Des solutions digitales existent pour pallier ce coup élevé, avec en tête de liste l’application Yuka. Celle-ci compte 15 millions d’utilisateurs aujourd’hui et est à l’origine d’une transformation profonde du rapport à la nutrition replaçant le consommateur au centre de l’échiquier et bousculant la stratégie des industriels. Chaque produit est analysé, scruté, pour qu’il soit le moins nocif pour la santé. Les athlètes et staff, qui ont accès à de nombreuses solutions pour s’informer et adapter leur nutrition, l’utilisent de plus en plus. « J’utilise Yuka pour maîtriser un minimum ce que je mange, comme je fais mes propres repas » explique Bruno Surace, boxeur professionnel double champion de France universitaire de kick light. Ainsi, tant les amateurs que les professionnels intègrent cette innovation afin de mesurer l’apport nutritionnel de chaque produit qu’ils consomment quotidiennement.

Au-delà de l’analyse des produits consommés, de nombreuses solutions permettent aujourd’hui de mieux appréhender son organisme et d’individualiser le conseil en nutrition pour les sportifs. La startup française LSee a développé le premier tracker métabolique permettant d’analyser des biomarqueurs de la dégradation des graisses à partir d’une simple goutte de sang. Les données sont ensuite envoyées immédiatement sur son smartphone par Bluetooth. L’application mobile indique la quantité de graisse brulée suite à un effort afin de mesurer l’efficacité sur son organisme. Elle délivre alors des recommandations sur le type de pratique à envisager le plus optimal au regard de son organisme et le régime nutritif le plus favorable. Si faire une petite piqure vous fait peur, SportDiet propose un coaching en ligne qui s’adapte aux objectifs, en obtenant les mêmes prestations qu’un diététicien sans contraintes de déplacements et de rendez-vous. Aurore Vial, fondatrice de cette startup l’assure : « De plus en plus, nous avons des données qui rendent tangibles l’impact de la nutrition sur la performance. 50% des abandons sur épreuves d’endurance sont en lien avec des troubles digestifs, la déshydratation à l’effort entraîne une baisse des performances musculaires, une déplétion glycogénique entraîne une diminution de la distance parcourue et de la vitesse de course en seconde mi-temps en football. Il faut donc contrebalancer cela en accompagnant chaque sportif ».
 


Ces solutions prouvent que la nutrition est devenue un facteur inhérent à la pratique sportive. Pratiquer du sport ne suffit plus à l’atteinte des objectifs du sportif du dimanche ; ce que l’on mange, se renseigner sur la qualité de notre alimentation et planifier notre nutrition ont une incidence majeure sur l’atteinte des objectifs. Le marché se développe en ce sens avec comme tendance l’individualisation de la nutrition. Et chez les professionnels alors ? Comment la nutrition s’intègre dans leur préparation ? Quels sont les réels impacts de celle-ci sur leurs corps et leurs performances ?

 

La nutrition devient-elle le facteur X au très haut niveau ?

Dans le haut-niveau, la nutrition est perçue comme un élément central de la préparation des sportifs vers la performance. Dans cette préparation, l’avancée de la science dans l’analyse corporelle a permis de mieux connaitre le corps des athlètes et d’agir en conséquence pour le nourrir en fonction des besoins.
 


Tout d’abord, l’analyse la plus répandue est le DEXA, une cartographie de la composition corporelle entre tissus gras et tissus non-gras, utilisé notamment à l’Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance (INSEP). Mais d’autres analyses existent : le réfractomètre qui mesure la déshydratation, la mesure de la glycémie/lactatémie ou encore la mesure du métabolisme de base qui détermine l’énergie minimale dont un athlète a besoin. Grâce à ces analyses, les meilleurs conseils nutritionnels vont ainsi pouvoir être prodigués. 

Contrairement à ce que peut annoncer le documentaire The Game Changers, la nutrition n’est pas la seule raison de la performance, mais une des composantes de celle-ci. C’est aussi la conclusion à laquelle arrive Véronique Rousseau, diététicienne nutritionniste à l’INSEP. « Depuis 1993, la performance repose sur cinq dimensions : tactique, technique, physique, mentale, et l’hygiène de vie (qui inclut la nutrition). C’est un des éléments du puzzle mais il ne faut pas la surestimer non plus ». Rattachés au pôle performance, les diététiciens nutritionnistes de l’INSEP interviennent auprès des sportifs dans le cadre de la surveillance médicale renforcée en produisant le bilan diététique des athlètes accompagnés. Ils interviennent également en produisant des conseils et en amenant le sportif à se questionner sur sa nutrition. Mais ça reste un acte intime, spontané et autonome qu’il convient d’appréhender dans ses trois dimensions. « Il faut trouver un équilibre entre l’énergie, l’émotion et l’aspect social » que la nutrition apporte au sportif, soutient Véronique Rousseau, et travailler sur les différents contextes de nutrition (chez soi, après compétition, avec les amis, etc.).

Les diététiciens du sport sont ainsi repositionnés au centre du processus d’accompagnement des athlètes. Ils constituent des éléments clés pour la performance. Pour Yann le Meur, qui accompagne Daniil Medvedev dans sa préparation, l’actuel numéro 5 mondial de tennis, « la nutrition vient optimiser l’entrainement et la qualité de la récupération avec un effet immédiat ». La nutrition possède un rôle chronique évident, puisqu’elle influence la manière dont le sportif s’adapte à son entraînement, tant en termes de développement de ses qualités physiques, d’assimilation de la charge d’entraînement que de composition corporelle, selon l’ancien Head of Sport Sciences de l’AS Monaco. Le niveau de performance est ainsi globalement amélioré grâce à une meilleure récupération par une nutrition adaptée. La British Olympic Association, l’équivalent du CNOSF outre-manche, met d’ailleurs à disposition des guides pour ses athlètes afin qu’ils s’alimentent le plus justement possible en fonction des disciplines, comme celui à destination de ses rameurs. Bien que peu individualisé dans ce cas, cela démontre néanmoins que chaque discipline a ses propres caractéristiques. Laurie-Anne Marquet, nutritionniste de l’équipe Cofidis a eu besoin de « connaître la physiologie de la discipline pour pouvoir prendre en charge l’athlète dans les meilleures conditionsadapter l’alimentation au type d’effort, aux groupes musculaires engagés et à la récupération nécessaire ».
 


Cette spécificité est d’autant plus importante pour des sports où le poids est surveillé à l’image des sports de combat. Dans ce cas, un suivi nutritionnel peut être le facteur différenciant sur le ring ou le tatami. Un changement dans l’alimentation, pour ces athlètes, affecte directement leurs capacités et sensations. Comme l’affirme Bruno Surace depuis qu’il est suivi par un nutritionniste : « cela a changé beaucoup de choses. Un coup sur deux je n’avais pas de jambes, plus de jus à la moitié du combat. Maintenant jusqu’à la pesée je mange. Je n’ai pas de surprises ». C’est un cas extrême où le poids, très fortement lié à la nutrition, a toute son importance en compétition.

Enfin, à ce niveau-là, la nutrition participe à l’hygiène de vie du sportif s’il veut perdurer à très haut niveau. Elle est essentielle pour la longévité d’une carrière en prévenant notamment les blessures. Sur le long terme donc, elle est un des facteurs inhérents à la performance sportive. Bien que Djokovic ait adopté un régime nutritif ‘plant based diet’ (0 produits transformés), les contre-exemples de Federer et Nadal prouvent qu’être vegan n’est pas la clé du succès et de la longévité. Il convient ainsi de suivre les sportifs suffisamment tôt pour avoir un impact fort sur la durée de la carrière et la prévention des blessures. La véritable innovation nutritive repose dans l’individualisation et la personnalisation selon les caractéristiques de chaque athlète et de sa discipline.

 

Tel qu’évoqué par les exemples de LSEE et de l’analyse DEXA, il faut déjà connaître son corps avant de bien l’alimenter en conséquence. Il est donc juste d’affirmer que l’avancée de la science précède l’avancée nutritionnelle. Ce que l’on mange ne constitue pas le facteur X, la nutrition doit être adaptée à chacun. Elle ne fait pas gagner des médailles mais elle peut en faire perdre pour les sportifs professionnels si elle n’est pas personnalisée. Même chose pour les amateurs : adopter le même régime que Novak Djokovic ne vous garantira pas des services à plus de 200 KM/H. Pourtant, the Game Changers prétend que le véganisme est la formule magique pour performer de la façon la plus optimale ; mais n’ont-ils pas omis l’essentiel élément du succès d’un plan de nutrition : qu’il soit personnalisé au métabolisme de chacun ?

Par Constant Capron, Vincent Chotel et Charles Frémont